Avocat Fondateur RGB Avocats
(Cet article a été publié dans la revue de la CCI France Pérou en février. Il a été revu et mis à jour en septembre 2016)
I. Introduction
Il ne semble pas avoir de doute qu´au Pérou les entreprises privées aient pour principal « client » l´État péruvien. En effet, l´État doit satisfaire ses immenses besoins en biens, services et travaux à travers ses diverses entités afin de remplir ses fonctions.
Dans ce contexte, les entreprises locales et étrangères souhaitant conclure des contrats avec l´État péruvien font souvent recours au “consortium” pour se présenter aux appels d´offres organisés par l´État. Le consortium permet donc aux entreprises de cumuler leurs niveaux d´expériences respectives et ainsi remplir les conditions exigées par les cahiers des charges desdits appels d´offres.
Le consortium est aussi un véhicule utilisé dans un cadre totalement privé, donc en dehors d´appels d´offres avec l´État. Ainsi, il est fréquent que des groupes de sociétés qui souhaitent acquérir des biens ou bénéficier de services mettent en place des appels d´offres privés auxquels les entreprises peuvent participer en consortium.
Grâce au consortium les entreprises pourront complémenter leurs activités, développer des synergies et offrir donc des avantages compétitifs, et des économies d´échelle dans le cadre de l´exécution de leurs obligations contractuelles.
Cet article présente de façon très synthétique certains aspects du consortium d´un point de vue contractuel, au regard des appels d´offres avec l´État et de la fiscalité qui en découle.
II. Analyse
1.- Le consortium, contrat de collaboration entre entreprises
Selon la Loi Générale sur les Sociétés péruvienne (“LGS”) qui régit le consortium comme un contrat d´association d´entreprises, le consortium est un contrat en vertu duquel au moins deux personnes physiques ou morales, locales ou étrangères s´associent afin de participer activement dans un projet pour obtenir un bénéfice économique tout en conservant leur autonomie.
D´un point de vue contractuel, le consortium n´a pas pour effet la création d´une nouvelle personne morale. S´agissant de sa forme, le contrat de consortium doit avoir lieu par écrit, sans qu´il y ait besoin de l´inscrire dans un quelconque registre public à la différence de l´immatriculation d´une société. Pour ce qui est des apports au consortium réalisés par ses membres et, appelés les « contributions », ceux-ci demeurent la propriété des membres.
Par ailleurs, les membres d´un consortium, selon la loi péruvienne, jouissent d´une large liberté contractuelle pour aménager les clauses de ce contrat relatives aux droits et obligations des chaque membre, au régime des contributions, aux pourcentages de participation, à la répartition des bénéfices ou des pertes parmi bien d´autres aspects importants pour le consortium.
D´un point de vue de la responsabilité, et selon la LGS, chaque membre du consortium est individuellement responsable des opérations réalisées avec des tiers. Cela veut dire par exemple que si le membre du consortium “A” est en charge de la construction d´un pont dans un chantier confié au consortium, dans le cas d´une malfaçon du pont, le client pourra réclamer uniquement au membre « A » et non pas aux autres membres du consortium Néanmoins, en pratique, il arrive fréquemment que les parties concluant des accords avec des consortium exigent que ses membres soient solidairement responsables, ce qui est par ailleurs une exigence de la loi péruvienne dans le domaine des contrats avec l´État. Dans notre exemple précédent, et dans la mesure où il y a solidarité, le client pourra alors réclamer à « A » ainsi qu´à tous les membres du consortium.
2.- Le consortium dans les contrats avec l´Etat
Tel qu´évoqué précédemment, il est fréquent que les personnes physiques ou morales, qu´elles soient locales ou étrangères, décident de participer à un appel d´offres organisé par l´État sen la loi des contrats avec l´État à travers un consortium dès lors qu´elles n´ont pas un niveau d´expérience suffisant. Le consortium leur permet de compléter leurs niveaux d´expérience, ressources, capacités et expertises, et de remplir ainsi les exigences demandées par l´État.
Selon la loi des contrats avec l´État qui s´applique à la plupart des contrats avec l´État, sauf exception, comme c´est le par exemple des projets de concessions avec PROINVERSION, chaque membre du consortium doit être inscrit au Registre National des Fournisseurs (« RNP ») tenu par l´Organisme Superviseur des Contrats avec l´État (« OSCE »). Lors de la soumission des offres, les membres du consortium devront présenter une « Promesse Formelle de Consortium ». Les signatures apposées dans ce document doivent être certifiées par un Notaire. Il doit contenir l´identification du représentant légal commun du consortium, le domicile, les obligations de chaque membre du consortium lors de l´exécution du contrat, les pourcentages de leur participation dans le consortium ainsi que la promesse ferme de signer un contrat définitif de consortium dans le cas où le consortium viendrait à emporter l´appel d´offres. C´est ainsi que dans ce cas, la « Promesse Formelle de Consortium » devient un « Contrat de Consortium ».
S´agissant de l´établissement de la preuve de l´expérience des membres du consortium, la loi péruvienne exige que cette expérience soit prise en compte de façon proportionnelle au pourcentage de leur participation dans les obligations relatives à l´exécution du contrat de consortium. En outre, si un membre du consortium participe uniquement à des questions d´administration (par ex. Procédures d´importation, obtention des garanties bancaires, facturation), son expérience ne pourra pas être prise en compte pour l´évaluation des offres.
Ainsi que nous l´avons indiqué, la loi péruvienne crée une responsabilité solidaire entre les membres du consortium. Ils seront tenus solidairement responsables face à l´État dans le cas où le représentant légal du consortium se rétracte et ne signe pas le contrat résultant de l´appel d´offres, en cas d´inexécution de ce contrat et pour tous les dommages y afférents. Inutile donc d´insister sur le fait qu´il faut être très précautionneux lors du choix des membres du consortium dans la mesure où la faute de l´un d´entre eux engage les autres.
3.- La fiscalité du consortium
Le traitement comptable et fiscal du consortium est un aspect fondamental à prendre en compte par les personnes physiques ou morales, fussent- elles locales ou étrangères et ayant l´intention de conclure un consortium.
Au niveau de la fiscalité, le principe est que le contrat de consortium doit tenir une comptabilité indépendante par rapport à celle de ses membres. De ce fait, le contrat de consortium est traité comme une « personnes morale » au niveau de l´Impôt sur les Sociétés et de la TVA, étant donc considéré comme un véritable contribuable. Il en découle que le contrat de consortium, au travers de son représentant, doit être inscrit au Registre Unique du Contribuable (« RUC »), fixer un domicile fiscal et présenter les déclarations mensuelles et annuelles.
Néanmoins, à titre d´exception, la loi fiscale a prévu les deux hypothèses suivantes dans lesquelles les consortiums ne sont pas obligés de tenir une comptabilité indépendante :
Si le contrat de consortium, en raison du type d´opération, n´est pas susceptible de tenir de comptabilité indépendante. Dans ce cas, l´on doit demander une autorisation préalable au fisc péruvien (« SUNAT») dans un délai de cinq (5) jours à compter de la conclusion du contrat de consortium afin de ne pas tenir de comptabilité indépendante. L´administration fiscale devra se prononcer dans un délai maximum de quinze (15) jours à compter de la réception de cette requête, faute de quoi l´on présume qu´elle y a fait droit ;
Si le contrat de consortium a une durée inférieure à trois (3) ans. Dans ce cas, l´on doit en informer la SUNAT dans un délai de cinq (5) jours à compter de la conclusion du contrat de consortium.
Ainsi lorsque le contrat de consortium ne tient pas de comptabilité indépendante, il n´est pas traité comme une « personne morale ». Il s´applique donc le principe dit de “transparence fiscale” selon lequel les revenus, dépenses, coûts, et pertes s´attribuent à chaque membre du consortium en fonction de sa participation aux résultats prévus au contrat.
Cette attribution opère aussi bien pour les acomptes au titre de l´Impôt sur les Sociétés que pour la TVA dans la mesure où chaque membre du consortium agit comme un contribuable indépendant.
De plus, dans les contrats sans comptabilité indépendante les membres du consortium doivent décider si chaque membre tient sa propre comptabilité de l´opération objet du consortium ou si l´un d´entre eux désigné comme l´ « Opérateur » tient la comptabilité du consortium.
A cet égard, l´on serait face à deux situations:
- Consortium sans comptabilité indépendante et sans Opérateur. Chaque membre du consortium devra comptabiliser ses opérations, donc ses respectives recettes et dépenses. C´est ainsi que comme le signale le fisc péruvien chaque membre du consortium sera obligé d´émettre ses propres factures en tant que contribuable.
- Consortium sans comptabilité indépendante et avec Opérateur. Dans ce cas, l ´un des membres du consortium tiendra la comptabilité du consortium, et attribuera aux membres du consortium les revenus, dépenses, et crédit fiscal selon leur pourcentage de participation dans le consortium. A cet égard, l´Opérateur devra disposer de deux documents de travail :
- Un “Registre Auxiliaire” afin d´enregistrer comptablement les factures et autres documents donnant droit au crédit d´impôt tous les mois, et
- Un document dit “Document de Attribution” qui permettra d´allouer à chaque membre du consortium, selon sa participation dans le consortium, la TVA relative à l´importation ou acquisition des biens, services et contrats de construction du consortium.
Sur la base de ce qui précède, l´on peut conclure que le consortium est un mécanisme qui rend plus viable la participation des entreprises locales et étrangères dans les contrats et projets d´investissement dont l´État péruvien est à l´origine.
En ce sens, les entreprises sont assez libres pour la mise en place juridique, opérationnelle et de gestion du consortium. Toutefois, les membres du consortium devront respecter scrupuleusement les obligations fiscales et comptables en fonction du type de consortium: (i) avec comptabilité indépendante, (ii) sans comptabilité indépendante et sans Opérateur et (iii) sans comptabilité indépendante et avec Opérateur afin de ne pas engendrer des risques pour leur investissement et le bénéfice économique escompté.